La genèse des recherches sur les relations entre les migrations et le changementclimatique remonte aux années 1980. A cette période, la prise de conscience et l’intérêt grandissant pour le réchauffement climatique prend de l’ampleur avec l’émergence d’une communauté scientifique très avisée et chargée, d’une part de compiler, d’analyser et de synthétiser toutes les connaissances sur le changement climatique, et d’autre part ses conséquences (Gemenne, 2008).
Cette préoccupation liée aux répercussions du réchauffement climatique sur lasociété a participé au regain d’intérêt pour les facteurs environnementaux dans les étudesmigratoires en général, et en géographie en particulier. En effet, la Géographie des populations a toujours accordé une grande place de choix à l’environnement dans l’étude des phases de peuplement de la terre. Ce qui ne fut pas du tout le cas des XIXème et XXème siècles durant lesquelles la place et le rôle des facteurs environnementaux furent mis en marge dans l’analyse des mouvements migratoires des populations au profit des déterminants essentiellement économiques (Piguet, 2013). Fort de cette réalité contextuelle, spécifique au XXème siècle, les causes environnementales des migrations humaines ne sont pas considérées par la “refugee studies” qui privilégie les faits politiques dans l’étude des migrations. Bien plus, les études sur les migrations des réfugiés mettaient davantage un point d’honneur sur les mouvements internationaux des populations, alors que les migrations induites par les crises environnementales se caractérisent surtout par la prédominance des déplacements internes aux États et de courtes distances (Kniveton, 2009). Concomitamment avec la prolifération des recherches en Démographie et en Géographie humaine, les recherches historiques dédiées à l’étude des migrations avec l’environnement comme postulat de base ont pris de l’ampleur. L’engouement manifeste des historiens pour cette thématique s’est traduit sur le terrain par une augmentation exponentielle des études empiriques.
Le concept de migration à susciter de vifs débats et cristalliser des positionsantagonistes au sein des milieux académiques. De nombreux auteurs, dont l’un des plus prolifiques est Myers (1993) , affirment que les dégradations environnementales engendreront des exodes massifs dans les années à venir. Les réfugiés de l’environnement sont par conséquents présentés comme ceux-là même qui incarnent “l’une des plus graves crises humanitaires de notre époque en annonçant des vagues de plus 150 millions de réfugiés “.Cette prise de position plutôt “alarmiste” s’oppose à celle des chercheurs en sciences humaines qui, face à cette situation, proposèrent un discours plus modéré. Partant du nombre insignifiant des études empiriques et les résultats peu consensuels à ce sujet, certains auteurs comme Black (Black, 2001) ou Castles (Castles, 2002) insistent sur la difficulté à lier de manière causale l’environnement aux migrations. En effet, le facteur environnemental fait souvent partie d’un jeu complexe de causalités multiples où interagissent notamment des facteurs sociaux, économiques, politiques et culturels (Black, 2001; Castles, 2002).
Castles réprouve en particulier le caractère trompeur et dangereux d’une terminologie associant des déplacements de population à des réfugiés. La pluralité des facteurs pouvant engendrer des migrations n’est donc pas prise en compte par l’appellation “réfugié climatique ” et cette catégorie ne concorde pas avec le statut de réfugiés énoncé dans le cadre de la convention de Genève de 1951. Bien que certains en fassent encore usage et défendent la création d’un statut de ” réfugiés environnemental ” ou de ” réfugié climatique ” (Conisbee & Simms, 2003; Mccue, 2010; Myers, 2002; Westing, 1992; Williams, 2008), la majorité de la communauté scientifique rejette l’utilisation du terme de réfugiés (et de refugee en anglais).Ces controverses sémantiques autour des concepts de ” réfugiés environnemental ” et ou de ” réfugié climatique ” nous éloignent d’une adhésion unanime et généralisée concernant une nomenclature qui permette de nommer les mouvements de personnes pour lesquelles l’environnement est un facteur déterminant (Kaenzig, 2015).
En sus de cette pluralité des termes très diversifiés usités pour l’étude et l’analyse des questions liées aux migrations, il convient d’y ajouter celui de “réfugiés pastoraux”.Les “réfugiés pastoraux” sont des populations pastorales qui, à cause des crises environnementales et de leurs conséquences négatives sur l’élevage, sont contraintes d’abandonner leurs aires pastorales d’origines ou habituelles pour se refugier dans des zones propices à la sécurisation (de leurs cheptels), à la poursuite et à la pérennisation de leurs pratiques pastorales. Il en est ainsi des sociétés pastorales Mbororo dont les migrations dans les abords sud du Lac Tchad et le plateau de l’Adamaoua camerounais ont été induites par les sècheresses, les inondations, les famines et les épizooties, vecteurs des crises de l’élevage dans ces régions. Au même titre que le concept de “réfugiés pastoraux”, le mot “déplacé” met traduit le caractère essentiellement contraignant, forcé de la mobilité humaine. C’est qui n’est pas le cas pour le terme de ” migrant ” qui, quant à lui, met plus d’emphase sur les acteurs et sur le processus décisionnel propre à la migration (Kaenzig, 2015). L’acception de ” mouvements de populations ” reste très neutre et tend cependant à dépersonnaliser l’action de migrer.Le second concept clés associé à cette étude est celui de “contrainte”. Du latin constringere qui signifie lier, resserrer, enchainer et contraindre, le mot “contrainte” fait allusion à toute violence ou toute pression exercée contre une personne pour l’obliger à faire quelque chose ou pour l’empêcher de faire ce qu’elle voudrait.
Elle peut être physique et morale. Ce concept garde tout son sens en Littérature et en Droit. En géographie, une contrainte est un élément qui pèse sur le choix d’aménagement d’un espace par une société. Les contraintes sont pour l’essentiel d’origine naturelle : elles sont liées au climat, au relief, au sol ou encore à la végétation.
Cette conception géographique de “la contrainte” est celle qu’il convient le mieux pour la compréhension de ce livre.