Le conceptd’interculturel représente une notion-clé dans les recherches en didactique deslangues étrangères (LE). En effet, apprendre une LE dépasse largement lamaîtrise de son système linguistique.
Savoir communiquer avec l’autre, sanstomber dans les pièges de stéréotypes, d’ethnocentrisme, de malentendu et deconflit, nécessite l’acquisition d’une compétence interculturelle. Dans uncontexte exolingue où les contacts avec les natifs sont quasiment inexistants, cettecompétence interculturelle devrait se développer en classe de langue. Cependant,son apprentissage se heurte souvent à de nombreuses difficultés qui entraventson acquisition telles que les représentations stéréotypées, déjà présentes,dans la conception des apprenants avant même de commencer l’apprentissage de laLE. En classe de LE, le fardeau reposedonc sur l’enseignant qui devrait développer chez les apprenants dessavoir-faire et des savoir-être qui pourraient les rendre aptes à se comporterde façon adéquate avec autrui. Cette compétence interculturelle ne signifie passeulement l’acquisition d’une nouvelle culture. Elle vise également à développerle relativisme culturel chez l’apprenant ainsi que des stratégies et deséthiques. Cela lui permettra de mieux comprendre l’autre et de pouvoir interagirefficacement dans les situations de communication tout en évitant ainsi lesstéréotypes et les représentations réducteurs et simplificateurs qui peuventengendrer le malentendu.
Cette compétence devrait éveiller les apprenants auxdangers qui entrent en jeu lors du contact avec l’autre et devrait luipermettre aussi de s’intégrer et de travailler dans les différentes sociétés etcultures dans le respect de l’autre tout en gardant ces propres valeurs. Cecinécessite que les enseignants soient persuadés de l’importance de cettecompétence dans la communication et de l’idée selon laquelle « il est sans intérêt et sans doutecontre-productif d’envisager l’enseignement d’une langue vivante sans yintégrer les paramètres culturels sans lesquels elle n’est qu’un idiome »(Cuq et Gruca, 2003 : 59). Notre démarche s’appuie surl’identification des représentations et des stéréotypes ainsi que leurévolution au cours de l’enseignement/apprentissage du FLE à l’université duYarmouk.
Cela est susceptible de permettre aux apprenants deprendre connaissance de certains codes culturels propres à leur culture maternelleet à la culture cible et d’apprendre à les manipuler. 1. Questions de la recherche Dans cette recherche, nous nous posons les questions suivantes : Qu’entend-on par le terme”Interculturel” et quelle place doit-il avoir en classe de langues/culturesétrangères ? Comment peut-on travailler l’interculturel en classe ? Est-ce qu’il est pris en compte dansl’enseignement/apprentissage de la langue/culture française à l’université duYarmouk ? Qu’est-ce qu’une représentation et quelles influences peut-elle avoirsur l’enseignement/apprentissage des LE ? Quels sont les stéréotypes etles représentations que les étudiants jordaniens se font de la langue/culturefrançaise, de la France et des Français ? Quelle est l’influence des pratiquesd’enseignement sur l’évolution des représentations et sur les attitudes desapprenants vis-à-vis du français ? Pour répondre à ces interrogations,nous présenterons notre contexte de recherche et nous ferons le point sur leconcept d’interculturel et celui de représentation. Nous identifions ensuite,dans la partie pratique, la méthodologie mise en œuvre dans ce travail, nous analyseronsles résultats obtenus grâce à deux enquêtes de terrain et nous terminerons parun certain nombre de propositions didactiques liées à notre démarcheinterculturelle et à la formation des enseignants à l’interculturel. 2.
Cadre théorique 2. 1. Contexte de la recherche L’enseignementdu français est proposé comme spécialité majeure ou unique pour les étudiantsinscrits au département de langues modernes à l’université du Yarmouk. De plus,certains étudiants, comme ceux inscrits à la faculté de tourisme, (optionguidage touristique) sont obligés de choisir le français comme option mineure. Ils suivent les mêmes cours que les apprenants de français en premièreannée. L’enseignement du FLE à l’université du Yarmouk s’intéresse toutparticulièrement à l’acquisition d’une compétence linguistique et grammaticale.
Les aspects (inter)culturels sont généralement abordés comme moyen de favoriserla compétence d’expression/compréhension écrite et orale. Les cours de françaisproposés (expression/orale et écrite) traitent des aspects culturels sousformes de données ou d’informations portant sur la France et la vie quotidiennedes Français. La compétence interculturelle estquasiment absente des pratiques de classe qui ne font que renforcer lesreprésentations stéréotypées des apprenants.
Cependant, il semble qu’éveillerles apprenants aux dimensions inter(culturelles), développe chez eux une ouvertured’esprit et une attitude de tolérance et d’acceptation de l’autre ce qui pourraitfavoriser l’apprentissage de la LE. 2. 2. Notiond’interculturel La définition de l’interculturel a été élaborée par leConseil de l’Europe et a fait apparaître, selon Porcher (1995 : 53), les quatreidées suivantes : toute société est aujourd’hui pluriculturelle; touteculture est égale en dignité à toute autre; tout enseignement s’effectue doncdans un contexte pluriculturel; plusieurs cultures vivent dans une même classeet l’enseignant doit être formé à les repérer, à les employer et à établir desconnexions, des relations, des articulations, des passages et des échangesentre ces cultures. L’objectif n’est pas seulement de gérer au mieux lajuxtaposition de diverses cultures, mais de les mettre en dynamisme réciproqueet de les valoriser par le contact. Pour Abdallah-Prétceille(2004 : 137), « le préfixe”inter” d’interculturel indique une mise en relation et une prise enconsidération des interactions entre des groupes, des individus, des identités ». En somme, nombreuses sont les définitionset les recherches qui s’intéressent au concept d’interculturel et quitémoignent de sa vitalité et de son importance.
Elles insistent toutes sur uncertain nombre d’éléments communs comme par exemple, l’ouverture d’esprit, latolérance, le respect mutuel, la capacité de s’intégrer dans les autrescultures sans renoncer à ses valeurs, le rejet de chauvinisme etd’ethnocentrisme. En effet, avec l’ouverture des frontières et lamondialisation, les besoins en communication avec autrui sont davantageimportants et «l’harmonie, la tolérance, l’ouverture àl’Autre ne sont pas des évidences acquises » (Gohard-Radenkovic et al.,2003 : 29-30). Par conséquent, des apprenants, bieninformés et formés à ces notions, pourront jouer, par la suite, le rôled’intermédiaire culturel entre leur culture d’appartenance et les culturesétrangères. 2.
2. 1. Didactique et interculturelApprendre une LE signifie entrer encontact avec une nouvelle culture dans la mesure où la classe de LE constitueun espace où se rencontrent deux cultures : celle de référence pour lesapprenants et celle de la LE. Cette rencontre avec la culture étrangère permet,par conséquent, aux apprenants de découvrir d’autres valeurs, d’autres modes devie, d’autres perceptions et d’autres manières de classer et d’interpréter laréalité (Denis, 2000 : 61).
La pédagogie de l’interculturel estnée en France au début des années 70 pour faire face aux difficultés scolairesrencontrées par les enfants de travailleurs migrants. Selon cette pédagogie,les différences ne constituaient pas un obstacle à la réussite scolaire ou àl’intégration dans la société mais, au contraire, on peut s’appuyer sur ellespour stimuler et renforcer l’enrichissement mutuel entre les individus (Collès,2006 : 9). Ce concept d’interculturel a été ensuite emprunté par ladidactique des LE pour devenir un des axes essentiels de toute pédagogie. Durant longtemps, la didactique mettait l’accent sur l’acquisitiondes compétences linguistiques et les éléments (inter)culturels étaient limitésà l’étude des classiques de la littérature et à des éléments de civilisation.L’enseignement interculturel n’avait aucune importance. Apartir des années 60, avec l’introduction des méthodes audiovisuelles,l’intérêt porté à la situation de communication amène les didacticiens às’intéresser à la dimension interculturelle.
Les éléments culturels ne sontplus proposés en option. Ils sont devenus inévitables et s’inscrivent dans leprocessus d’enseignement/apprentissage des LE en tant qu’outil déclencheur pourrenforcer la compétence linguistique des apprenants. Avec l’avènement desapproches communicatives, l’objectif de l’enseignement/apprentissage d’une LEdevient l’acquisition d’une compétence de communication qui englobe les aspectsculturels dans les actes de communication mais toujours dans un soucilinguistique. Depuis les années 80, la notion d’interculturel est entrée dans la didactique du FLE grâce aux travaux de Abdallah-Prétceille, Porcher et Zarate. La maîtrise des savoir-faireculturels devient indispensable pour rendre l’apprenant capable de vivre, detravailler et de s’intégrer dans les différentes sociétés et cultures. Dans le contexte universitaire jordanien,il semble que l’enseignement/apprentissage du français est centré sur le contenu linguistique. Le contenu (inter)cultureln’est pas assez pris en compte.
Les apprenants suivent une formationlinguistique abordant plus ou moins tous les aspects du français, de façonartificielle, sans qu’un objectif précis soit déterminé. Un seul cours decivilisation est proposé pour les étudiants de deuxième année. Ce cours abordedes thèmes généraux touchant à la société française comme par exemple, lafamille, les repas et les transports. Il nous paraît que ce cours n’aide pasvraiment les apprenants à acquérir une compétence interculturelle. 2.3.
Représentations et enseignement/apprentissage des LE Leconcept de représentation est emprunté par Zarate à la psychologie sociale. Lesreprésentations sociales sont considérées comme des systèmes de compréhension etd’interprétation qui contrôlent notre relation avec les autres (Moscovici, 1989: 3) et qui modèlent, par conséquent, laconnaissance que les individus prennent du monde ainsi que les interactionssociales (Amossy et Herschberg Pierrot, 2010 : 50). Lesreprésentations servent donc à « catégoriser ce que nous ne connaissonspas et nous confine par là même dans un sentiment de sécurité partagésocialement » (Windmüller,2010 : 182). Cette classification amène par la suite « à élaborer des prototypes permettant àleur tour d’évaluer d’autres objets » (Billiez et Millet, 2001 : 35-36).En effet, les représentations sociales construisent « les limites entre le groupe d’appartenance et les autres, définissentdes proximités et affinités, des éloignements et des incompatibilités »(Zarate, 1993 : 30) et apparaissent alors « comme uneconstruction imaginaire qui ne reflète en rien le réel » (Windmüller, 2010 : 191). Dansle domaine de la didactique des LE, le concept de représentation devientessentiel et les représentations que les apprenants se font des langues, deleurs normes et de leurs caractéristiques influencent largement le processus del’enseignement/apprentissage des LE ainsi que leurs attitudes enversl’apprentissage et l’utilisation des LE (Castellotti et Moore (2002 : 35). Certains didacticiens, comme Porcher et Zarate, ontmontré les liens entre les pratiques d’apprentissage des LE et les représentationsque l’on se fait de ces langues. On y associe souvent des images plus ou moinsétrangères, proches ou éloignées, faciles ou difficiles.
Dans le domaine des langues, de leurapprentissage et de leur usage, les représentations occupent une placecentrale parce qu’elles « sontd’autant plus disponibles et susceptibles de donner lieu à formulation, àverbalisation, … qu’elles ont à voir avec l’appartenance, l’identitépropre, le positionnement distinct par rapport à l’autre et à l’étranger. Ellesconstituent des topiques et des objets de discours. Elles donnent lieu à tracesou à symptômes observables dans les pratiques langagières.
Et elles ne portentpas seulement sur les langues et les usages linguistiques en général, mais bienaussi sur les relations entre soi et les autres, ceux dont on fait partie oudont on se rapproche, aussi bien que ceux qui sont autres ou que l’on met àdistance » (Moore, 2001 : 9). 2. 3. 1.
Objectifsde l’identification des représentations en classe du FLE Letravail de recherche qui vise à connaître les représentations des apprenantssur la langue/culture étrangère peut, selon Zarate (1986 : 65), avoir troisobjectifs : 1. Lapromotion de la France et de l’enseignement du français. 2. Endébut d’apprentissage, ce travail permet de « déclencher une réflexion surles modes d’appréhension d’une culture étrangère » et donne l’occasion àl’enseignant de « photographier les représentations dominantes de son groupe». 3.
Reprisen fin d’apprentissage, il peut être un outil d’évaluation. Dans notre cas, uneformation étalée sur plusieurs années a-t-elle entraîné une évolution de ces représentations ? Cette identification des représentationsne vise pas à « transformer les représentations en d’autres qui seraient justes etfavorables, mais d’amener les élèves à : 1) faire émerger leurs représentations2) travailler ces représentations, afin d’en mieux connaître la nature, larelativité, la contextualité, afin de devenir plus conscients de leurs propresmodes de représentation de soi, de l’altérité et du monde » (Muller et dePietro, 2001 : 57). Le travail sur les représentationsse heurte souvent à certains obstacles qui mènent parfois à desattitudes et à des pratiques d’ouverture à l’autre ou, bien au contraire, à unrejet et à un refus de l’autre (Gohard-Radenkovicet al., 2003 : 29-30).
Le stéréotype est considéré comme un phénomènedangereux en didactique des LE à cause des mécanismes qui régissent saformation (Abdallah-Prétceille, 2004 : 113-114) comme par exemple, lagénéralisation, le réductionnisme, la permanence et l’amalgame.